
You wanted a hit
You Wanted a Hit, LCD Soundsystem, 2010
But maybe we don’t do hits
I try and try
It ends up feeling kind of wrong
Dans sa rubrique « Peu de gens le savent » du Rock&Folk n° 688, Bertrand Burgalat écrit à propos du dernier Coldplay, Moon Music : « J’écoute le nouvel album (…), cette musique ressemble à ce qu’une IA générative doit pouvoir faire d’un prompt du groupe, avec en sus des passages « urbains » à l’Auto-Tune bien craignos. » Il a raison et, malheureusement, tout cela ne risque guère de s’arranger.
L’Intelligence Artificielle (IA) et la musique, vaste sujet. Voyons ce que l’IA peut faire non pas pour produire de la musique, mais analyser et prévoir nos goûts.
L’IA, madame Soleil de la prédiction de hits
En 2023, peut-être avez-vous vu passer cette news bluffante : « Cette IA prédit les hits musicaux en lisant dans vos pensées ». Waou !
Ou pas.
Trois chercheurs américains annonçaient dans la revue Frontiers in Artificial Intelligence1 avoir mis au point un algorithme capable de prédire le succès d’un morceau de musique sur la base d’une collecte de données neurophysiologiques agrémentée d’une dose de d’apprentissage automatique (Machine Learning). Ce qu’il baptisaient pompeusement « neuro-prédiction ». Les données avaient été collectées auprès de 33 participants âgés de 18 à 54 ans équipés de capteurs capables de mesurer leur activité neurophysiologique et cardiaque tandis qu’ils écoutaient 24 titres d’une playlist. Résultat, ces données, statistiquement, permettaient de prédire avec 69 % d’exactitude le succès des chansons écoutées par les sujets. Avec un programme de Machine Learning en plus, la certitude des prédictions montait à 82 % pour une seule minute d’écoute et carrément à 97 % pour l’écoute intégrale du morceau.
Waou. Bigre. Fichtre.
Sauf que. Déjà, sur la forme, à quoi ça sert ? A faciliter le job des plateforme de streaming qui croulent littéralement sous l’avalanche de nouveaux morceaux qu’elles en mettent en ligne. Et sinon ? Ben à rien.
Quant au fond…
Deux chercheurs de Princeton n’y sont pas allés avec la dos de la cuiller : ils titrent leur papier « Non, on peut toujours pas prédire un hit grâce à l’apprentissage automatique » et résument : « les résultats de cette étude sont bidons »2.
Ils pointent du doigt « l’un des pièges les plus courants de l’apprentissage automatique, la fuite de données » : les données utilisées pour entraîner l’algorithme incluent les informations qu’on tente de prédire. Cela revient en gros à donner les réponses aux candidats à un examen avant l’examen. En plus de cela, les chercheurs sont partis d’un tout petit échantillon (ce qui est très courant) et ont suréchantillonné comme des gorets, puis ont entraîné l’algorithme et l’ont testé, mais sur le même jeu de données, ce qui est une aberration. Résultat, leur prétendu modèle prédictif infaillible serait à peine plus performant que le simple hasard dans le monde réel.
Caramba, encore raté !
James Murphy plus fort que l’IA
Ce qui amusant, c’est que ce petit jeu des pronostics dure depuis maintenant un bon moment, comme si le music business était constamment à la recherche de la martingale.
En 2010 sortait This Is Happening, de LCD Soundsystem. James Murphy, qui, en tant que producteur, DJ et co-fondateur de DFA Records (label punk-dance des Raptures, par exemple), s’y entend un peu en matière de hits, nous gratifiait dans cet album d’un sublimissime « You Wanted A Hit », morceau qui clamait haut et fort qu’il ne pouvait pas pondre des hits sur commande. C’était un coup de griffe bien senti à l’industrie musicale, que Murphy commentait en ces termes : « Ce qui rend la musique d’aujourd’hui prévisible, ce ne sont pas les fans, mais ceux qui croient savoir ce que veulent les fans » (Les Inrockuptibles, 26 mai 2010). Le plus amusant était que You Wanted A Hit, qui prétendait qu’il était impossible d’écrire un hit à la demande, prouvait exactement l’inverse puisqu’il était précisément le hit de l’album, identifiable dès la première écoute. La question est donc posée : coup de bol de Murphy ou maîtrise artistique quasi scientifique de l’exercice ?
La recherche de la martingale à hits, 15 ans que ça dure
En tout cas, talent bien plus sûr que toutes les tentatives plus ou moins scientifiques que l’on a vu fleurir dès cette époque, souvent basée sur une analyse des caractéristiques sonores des morceaux. En voici deux exemples amusants parmi d’autres.
En 2011, un professeur en Intelligence Artificielle nous a concocté une « science du hit » en se penchant sur le hit-parade anglais des 40 titres les plus populaires sur les 50 dernières années (ce qui demande un courage certain)3. À partir de différentes caractéristiques musicales plus ou moins subjectives, il a échafaudé une équation permettant de scorer chaque titre. Ce scoring fonctionne avec une précision de 60 % pour classer un titre comme « tube » (dans le top 5 anglais).
Au-delà de la fiabilité très relative de l’outil (la précision varie en plus dans le temps), on peut s’amuser des contradictions internes de la démarche, le chercheur reconnaissant lui-même que son équation aura besoin d’évoluer à mesure que changent les goûts musicaux… En d’autres termes, elle sera toujours capable de déterminer des tubes a posteriori, en regardant les charts, mais aura beaucoup de mal à anticiper quoi que ce soit. Si c’était pour en arriver là, il y avait plus simple : comme l’a bien compris la presse musicale française, pour savoir si ça va être un tube, il suffit de lire la presse musicale anglaise. Autre travers, l’impasse forcée sur les paramètres non musicaux, pourtant déterminants dans le succès. Il est ainsi étrange que Michael Jackson figure dans la catégorie des « hits inattendus » avec le titre Man in the mirror, devenu un hit… après la mort du chanteur, ce qui n’a rien de très inattendu et incite à penser qu’un critère « chanteur décédé » enrichirait utilement l’équation.
Toujours en 2011, autre exemple d’une tout autre nature. Un neuroéconomiste travaillant sur les bases neurologiques de la créativité avait, dans le cadre de son travail de recherche, investigué les réactions du cerveau de 27 jeunes de 12 à 17 ans soumis à l’écoute de 120 chansons de musiciens alors totalement inconnus, issues de MySpace. Les sujets devaient noter les morceaux de 1 à 5 et leurs réactions neurologiques étaient enregistrées. À ce stade, le chercheur s’intéressait juste à la pression de l’opinion des pairs. Mais trois ans plus tard, alors qu’il regarde American Idol avec ses filles (hem…), il reconnaît un des morceaux utilisés dans son étude, devenu entre-temps un succès ! Il décide alors de reconsidérer ses données en se posant une tout autre question : peut-on prévoir les hits en examinant l’image du cerveau des auditeurs ? Il publie alors ses résultats dans le Journal of Consumer Psychology4.
Ceux-ci montrent qu’il est parvenu à établir une corrélation entre chiffres de ventes des morceaux et réponse du cerveau à leur écoute, mais contrairement à certains margoulins, le chercheur se défend d’avoir trouvé la formule gagnante : en effet, la réponse observée n’explique qu’un tiers de morceaux qui vont se vendre à plus de 20 000 unités. En revanche, cela marche mieux avec les flops : 90% des titres qui n’entraînent qu’une faible réponse se vendent à moins de 20 000 exemplaires. Cela marche en tout cas mieux que le système subjectif de notation de 1 à 5 par les auditeurs, qui se révèle lui complètement déconnecté des chiffres de ventes réels.
En d’autre termes, il ne tenait pas l’équation miracle pour prédire un hit, mais bien la démonstration que le public ferait mieux d’écouter sa cervelle – ou son cœur – que ce que la pression des pairs – ou des algorithmes des plateformes de streaming – lui recommande d’apprécier !
Eventuellement, il peut aussi se fier aux conseils de son disquaire.
- Merritt Sean H. , Gaffuri Kevin , Zak Paul J. , “Accurately predicting hit songs using neurophysiology and machine learning”, Frontiers in Artificial Intelligence, VOLUME 6, 2023. ↩︎
- https://reproducible.cs.princeton.edu/predicting-hits.html ↩︎
- Y Ni, R Santos-Rodriguez, M Mcvicar, T De Bie, “Hit song science once again a science”, 4th International Workshop on Machine Learning and Music, 2-3. ↩︎
- Gregory S. Berns, Sara E. Moore, “A neural predictor of cultural popularity”, Journal of Consumer Psychology, 22 (2012) 154–160. ↩︎
